août 4, 2025

La dernière relecture : entre vertige et exigence

Je n’aime pas travailler dans l’urgence.

C’est une conviction profonde que j’ai développée au fil du temps et des romans. L’écriture, pour moi, est un long processus. Il me faut du recul, de longues pauses, pour relire et travailler mes textes avec un regard « neuf ». C’est pour moi essentiel.

Mon prochain roman, qui paraîtra en mai 2026, entre actuellement dans une nouvelle phase de mon processus d’écriture : celle que j’effectue avant de confier le texte à Igor, mon correcteur professionnel. C’est un moment à la fois redouté et attendu, un entre-deux instable, où l’œuvre ne m’appartient déjà plus tout à fait, mais où je dois encore lui offrir toute mon exigence.

C’est une étape à part. Un passage délicat, intense, exigeant. Ce moment où l’on quitte l’élan de la création pour entrer dans une forme de mise à distance critique. Ce moment où l’on se relit non plus comme auteur, mais comme lecteur. Un lecteur exigeant, bien sûr. Impitoyable, parfois.

Une étape charnière

Je compare souvent cette dernière relecture à l’interprétation d’un morceau de musique classique. Tout est écrit, posé, orchestré… mais c’est maintenant qu’il faut entendre. Ressentir. Équilibrer. Chercher la justesse, l’harmonie, le souffle et le rythme.

Chaque mot, chaque phrase, chaque silence compte. Trop d’emphase, et la ligne mélodique se brise. Trop peu, et l’émotion disparaît. Il faut trouver le tempo du texte, ce battement souterrain qui fait que le récit « tient ».

C’est à ce moment précis que je ressens le vertige : celui de vouloir tout corriger, tout lisser… et de devoir pourtant garder une part de spontanéité, d’imperfection vivante.

Ma méthode, ou l’art de laisser reposer

Ma façon de travailler n’a rien de linéaire ni de pressée. Je commence toujours par écrire un premier jet, brut, imparfait, souvent fiévreux. Ce premier jet, je le retravaille pendant plusieurs mois, à mesure que les personnages se dévoilent davantage, que la voix narrative s’affine, que l’intrigue trouve son souffle.

Puis je laisse reposer. Longtemps. Le manuscrit sur lequel je travaille actuellement a dormi pendant huit mois avant que je ne le rouvre. Ce temps d’oubli est essentiel. Il me permet de revenir au texte avec un œil presque vierge — et surtout, une oreille nouvelle.

Car je relis toujours à voix basse. La sonorité des phrases est centrale pour moi. Si une phrase ne sonne pas bien, si elle grince, ou si l’œil accroche, c’est qu’elle doit être réécrite. Il ne suffit pas qu’elle dise quelque chose. Il faut qu’elle le dise avec justesse.

Je corrige donc, phrase après phrase. Je coupe, je modifie, je fluidifie. J’ajuste aussi la ponctuation, ce petit détail qui transforme la cadence du texte. Pour moi, la ponctuation est le sel d’un texte. Trop, il devient indigeste. Trop peu, il est insipide voire confus, incompréhensible. Une ponctuation maîtrisée donne du rythme, de l’air, du sens. La ponctuation rythme la pensée. Elle donne du relief, du silence, des respirations. Elle guide le regard, elle place les silences entre les mots. Elle est discrète, mais sans elle, le texte perd son souffle. Une virgule peut créer une tension, un point peut offrir une pause salvatrice. La bonne ponctuation n’est jamais un hasard. Elle est l’écho du mouvement intérieur de l’auteur, elle est la respiration du récit qu’il offre à ses lecteurs.

Enfin, je traque les incohérences, les glissements de ton, les répétitions insidieuses. Je vérifie l’unité de l’ensemble. Je tente d’accorder toutes les « voix » du roman — comme on accorde les instruments d’un orchestre avant un concert.

Aller puiser au fond de soi

Ce travail de relecture est une forme de descente en soi. Il faut aller puiser en profondeur, épuiser ses ressources, parfois jusqu’au vertige, pour trouver l’émotion juste. À ce stade, il ne s’agit plus simplement de raconter une histoire, mais de faire sentir. De toucher quelque chose de nu, de vrai.

Chaque scène mérite qu’on s’y attarde. Chaque mot doit être là pour une raison. Ce n’est pas une obsession maniaque, c’est un respect. Pour le texte, pour les personnages, pour le lecteur.

Ce travail intérieur peut être épuisant. Il oblige à revisiter ses intentions. Il met à nu certaines maladresses, certains aveuglements. Il demande du courage. Et aussi de l’humilité : reconnaître qu’un passage n’est pas réussi, qu’une phrase n’est pas claire, qu’une émotion ne passe pas, ce n’est jamais facile. Mais c’est nécessaire. C’est là que l’écriture devient une forme d’exigence intime.

Savoir s’arrêter

Et puis vient ce moment étrange : celui où il faut s’arrêter. Dire « c’est assez ». Ne plus retoucher. Laisser le texte vivre. Ce moment est le plus difficile à reconnaître.

Quand on est perfectionniste, on peut facilement tomber dans le piège de la correction infinie. On veut toujours mieux. On veut toujours plus fin, plus subtil, plus fluide, plus fort. Mais un texte trop poli finit par perdre sa matière. Son grain. Son énergie.

Alors j’apprends à lâcher. À faire confiance à ce que j’ai écrit. À ce que le texte est, avec ses failles, ses aspérités, sa sincérité.

Le vertige du regard extérieur

C’est alors que surgit le plus grand vertige : confier mon texte à un regard extérieur. Pour la première fois, une autre personne va le lire. Le juger, peut-être. L’interroger. Le disséquer.

Ce moment me bouleverse toujours. Ce que j’ai porté, seul, parfois des mois, des années, va maintenant passer dans les mains d’un autre. Et avec cela, une forme de dépossession s’amorce. Un détachement nécessaire, mais jamais anodin.

Ce premier regard extérieur, c’est Igor, mon correcteur professionnel.

Le regard d’Igor

Igor est bien plus qu’un correcteur. Il a cette capacité rare de me pousser dans mes retranchements. Il ne se contente pas de corriger : il me questionne. Il m’invite à chercher plus loin, à revenir à l’intention initiale, à clarifier ce que je veux véritablement transmettre. Rigoureux, il ajuste le miroir. Il me permet de voir ce que je ne vois plus.

Il sait poser la question qui dérange. Celle qui fait vaciller une certitude. Celle qui me force à retourner dans le texte, et parfois en moi-même, pour trouver ce qui sonne juste, ce qui sonne vrai.

Igor a cette capacité rare de tirer le meilleur de moi, sans jamais imposer sa voix à la mienne. Il n’écrit pas à ma place : il m’aide à écrire au plus près de ce que je veux dire. Il m’amène à me demander : « Qu’est-ce que tu veux vraiment dire ici ? Est-ce que tu l’as dit de la manière la plus juste, la plus vraie ? »

Parfois, une seule remarque de sa part suffit à m’éclairer. À me remettre face à ma propre intention. Il me force à aller chercher plus profond. À ne pas me satisfaire du « pas mal ». À viser le « juste ».

Mais cette collaboration ne peut porter ses fruits que si je lui confie un texte déjà retravaillé, déjà traversé ; un texte prêt à être écouté. D’où l’importance de cette dernière relecture. C’est elle qui me permet de tendre à cette forme de justesse intérieure : un texte qui a trouvé son propre rythme, sa propre voix.

Une forme d’adieu

La dernière relecture, c’est un moment de transition fragile. Un entre-deux. Ce n’est plus vraiment le texte brut, instinctif, vibrant. Ce n’est pas encore l’objet fini, poli, publié.

C’est un moment de solitude et de bascule. Un peu comme quand un musicien répète une dernière fois son morceau, seul, avant le concert. Il sait qu’ensuite il devra vivre dans l’instant, dans la rencontre avec l’autre.

Dans quelques mois, ce roman ne m’appartiendra plus. Il vivra sa vie auprès des lecteurs. Il sera lu, compris – ou pas. Il deviendra autre chose que ce qu’il était pour moi. Mais pour qu’il puisse faire ce chemin, il faut l’avoir préparé. Il faut avoir eu ce dernier regard, honnête, lucide, bienveillant et l’avoir confié au regard d’Igor.

Je ferme alors mon fichier. Je sais que le travail n’est pas fini, que ce texte m’appartient encore un peu. J’hésite au moment de cliquer sur « envoyer », mais me lance et le confie par mail à Igor. Et j’attends… avant de le retravailler une dernière fois avec lui.

Et vous ?

Si vous êtes écrivain, artiste, ou engagé dans un travail créatif, vous connaissez sans doute ce moment étrange entre l’intime et le partage. Ce vertige quand on expose quelque chose de soi. Ce doute quand il faut lâcher prise. Cette question silencieuse : est-ce que ce sera compris ?

Je serais curieuse de savoir comment vous vivez cette étape, vous aussi. La dernière relecture. Le regard extérieur. Le lâcher-prise. Le doute.

Je vous invite à partager votre expérience en commentaire.

Au plaisir de vous lire

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